Brooks réussit sans accroc la difficile gageure de marier son humour qui ravage et son amour pour un genre qu’il admire, il n’en va pas de même pour le cinéaste français Alain Jas-sua et son maladroit « Frankenstein 90» (1984) avec Jean Rochefort et Eddy Mitchell. Cette tentative ratée de modernisation inutile, qui se veut drôle et tendre, nous fait regretter la brumeuse atmosphère victorienne des premiers «Frankenstein». «Docteur Jekyll et Mister Hyde», publié en 1886 par le romancier Robert Louis Stevenson, a fait l’objet d’innombrables adaptations cinématographiques pendant l’époque du muet. Ce drame angoissant décrit les affres d’un médecin-chercheur qui veut séparer, chez l’être humain, le Bien du Mal.
Il expérimente sur lui-même un infâme breuvage de sa composition qui le transforme en un être simiesque et dangereux. Au début, son effet est de courte durée. Mais ensuite… On comprend que l’histoire affreuse de ce savant fou inspire encore aujourd’hui scénaristes et réalisateurs. La première version parlante date de 1932. Elle est signée Rouben Mamoulian, réalisateur hollywoodien réputé pour ses trouvailles visuelles. La métamorphose de Jekyll, interprété par Fredric March, est une merveille d’invention technique — elle est vue dans un miroir, avec, en contrepoint sonore, l’enregistrement amplifié des battements du propre cœur du réalisateur. Il est à noter que ce dernier a toujours refusé de livrer le secret des techniques utilisées. Le film homonyme que réalise Victor Fleming en 1941, avec Spencer Tracy, est sans doute le plus célèbre et le plus fidèle au roman. Jerry Lewis himself est séduit par l’ignoble Mister Hyde et en propose, en 1963, une version savoureuse intitulée « Docteur Jerry et Mister Love». Parmi les autres adaptations, il convient de citer «Le testament du docteur Cordelier», de Jean Renoir (1953), «The two faces of doctor Jekyll», de Terence Fisher (1960), « Doctor Jekyll and sister Hyde», de Roy Ward Baker (1971), où Jekyll change de sexe en devenant Hyde, et la curieuse version réalisée en 1988 par Gérard Kikoïne, avec un Anthony Perkins plus cabotin que jamais…
En dehors de ces deux «monstres sacrés», beaucoup de réalisateurs se sont penchés sur le berceau branlant du savant fou pour en extirper la substantifique moelle. Stanley Kubrick, avec sa verve coutumière, décrit minutieusement le comportement désordonné d’un psychoparalytique conseiller militaire du président US tout droit sorti des sombres méandres du nazisme. Vous avez tous reconnu le «Docteur Folamour», filmé par le maître en 1963, avec Peter Sellers dans le rôle-titre. «L’île du docteur Moreau» (1977), de Don Taylor, raconte l’histoire folle d’un médecin exclu de Gregory Peck en Dr Mengele, «Ces garçons qui venaient du Brésil» l’Académie qui, retiré dans une île des mers du Sud, n’a qu’un but, contrôler l’évolution génétique des animaux pour pouvoir éviter aux hommes les malformations qui, souvent, les accablent. Mais très vite, ces «humanimaux» reprennent leur forme première. Alors, il décide d’inverser le processus, transformer l’homme en bête. Adapté d’un roman de H.G. Wells, ce film, aux superbes effets spéciaux, offre un rôle en or à Burt Lancaster. Rappelons qu’il s’agit d’un remake de l’œuvre d’Erie C. Kenton, tournée en 1932, avec Charles Laughton comme interprète principal. Dans un registre plus douloureux, les expériences lamentables de pseudo savants dans les camps de concentration durant la dernière guerre semble effrayer les producteurs. Oublions ici les «transalpineries » grotesques et malsaines style « Médecins SS» ou «Les savants de la mort»!
Le seul film authentique consacré à ce sujet est réalisé en 1978 par Franklin J. Schaffner et est fondé sur des données scientifiques sérieuses. «Ces garçons qui venaient du Brésil», tiré d’un roman d’Ira Levin, l’auteur de «Rosemary’s baby», traite d’une tentative démentielle .du docteur nazi Joseph Mengele. A partir du sang d’Hitler, recueilli par ses soins en 1943, il réussit à recréer des embryons appelés à devenir autant de clones du Führer, à condition de leur faire revivre les traumatismes de son enfance, la mort de son père lorsqu’il avait quatorze ans. Ce film, fantastique dans tous les sens du terme, fait froid dans le dos, grâce en partie à l’interprétation de Gregory Peck en docteur Mengele. La France est une nation pragmatique.
Aussi les incursions de notre cinéma national dans l’univers tortueux du savant fou sont-elles rares. Indépendamment du récent «Docteur Petiot», de Christian de Challonge, le seul film qui traite ouvertement du sujet date de 1959 et est signé Georges Franju. Tiré d’un roman de Jean Redon, paru au Fleuve noir, « Les yeux sans visage» nous conte l’histoire poignante du professeur Genessier, gloire de la chirurgie, qui tente, en tuant d’innocentes victimes, de remodeler, par des greffes, le visage de sa fille Christiane, défigurée dans un accident de voiture. Pierre Brasseur laisse au vestiaire son habituelle faconde et fait preuve ici d’une sobriété de bon aloi. Le mythe éternel, difficilement contournable, de la connaissance de l’homme mise au service de la science n’a sûrement pas fini d’exciter l’imagination des faiseurs du septième art. Dès 1926, un cinéaste, Fritz Lang, avait déjà tout compris dans ce domaine et su mêler philosophie, science et poésie dans son film, immortel et beau, « Metropolis »…